On danse le MIA à l'IMA… Le leader du mythique groupe IAM retrace l'histoire du mouvement le temps d'un flow muséal à l'Institut du monde arabe. Interview.
Il paraît loin le temps des MC facétieux, jouant des coudes pour poser leur flow sur un set d’Afrika Bambaataa à l’orée des seventies crasses, des jeunes grapheurs qui s’essayaient aux peintures rupestres version béton armé pour égayer leur grise journée d’errance près de la station Stalingrad, des morveux fans de funk aux revendications politico-mélancoliques qui se retrouvaient au cours Julien…
Dans une ère où l’on doit capitaliser le plus efficacement possible sur une célébrité éphémère et où les rimes tapageuses de Maître Gims envahissent les ondes, on a tendance à l’oublier, mais le rap est pourtant encore incisif, empli de voix impétueuses qui scandent à la face du monde leur rage de vivre.
Après le Bronx new-yorkais, la Cité Allende de Saint-Denis, les Quartiers Nord marseillais, il bouillonne aujourd’hui dans les rues tunisiennes, libanaises, saoudiennes… où toute une génération éprise de liberté défie les gouvernements en place. C’est ce qu’a souhaité montrer Akhenaton, membre fondateur du mythique groupe de rap IAM et directeur artistique de la nouvelle exposition de l’Institut du Monde arabe.
1 100 m2 consacrés à l’histoire du mouvement, dans un parcours qui se refuse à être didactique, mais qui met en lumière la porosité des nombreux courants du genre.
Des ghettos-blasters côtoient les premiers vinyles des précurseurs, des clichés mettent en lumière des amitiés oubliées… On déambule à travers des espaces touffus, regorgeant d’objets iconiques, distillant quelques vidéos emblématiques (un extrait sur grand écran de l’inoubliable Do the Right Thing, de Spike Lee) et œuvres contemporaines, où l’on prend le temps de poser un graf au Posca sur un mur, de s’affaler sur les canapés en skaï pour profiter de la bande-son… Un double chill façon Akhenaton.
Vous, directeur artistique d’une exposition à l’Institut du Monde arabe, ça s’est fait comment ?
Akhenaton – C’est grâce à Mario Choueiry, qui travaille à l’IMA et que je connais depuis EMI, notre maison de disque de l’époque. Par son biais, on a fait des collaborations avec des artistes du monde arabe. Nous sommes devenus amis. Et il y a quelque temps, il m’a proposé de faire une exposition sur le hip-hop.
J’ai discuté avec les équipes artistiques. Il ne fallait surtout pas être didactique. On a énormément travaillé sur la transmission. La transmission dans les années 1970 du hip-hop de New York vers la France, et celle de New York vers les pays arabes.
On souhaitait baser l’exposition sur l’universalité de cette culture, la créativité. Parce que disons le clairement, dans les pays arabes, il n’y a pas que des intégristes avec des drapeaux noirs – qui sont d’ailleurs très peu nombreux mais qui font beaucoup de bruit. Il y a des gens qui créent, font des morceaux, composent, graffent, partagent ce langage universel. Et avec qui, nous, groupes de rap français et américains, on a une proximité parce que notre langage commun, c’est la culture hip-hop.
Concrètement, comment êtes-vous en contact avec le rap des pays arabes ?
Je vais très souvent au Maghreb, surtout au Maroc parce que ma femme est d’origine marocaine. Et nous faisons souvent des concerts dans les pays arabes avec IAM, où nous avons un public très fidèle. Dans le rap arabe, il y a beaucoup de combats. En Tunisie, des musiciens comme Klay BBJ, qui a écrit des textes contre Ben Ali, sont fortement engagés. En Égypte, lors de notre série de concerts au pied des pyramides, on avait rencontré plein de collectifs.
Je voulais valoriser ce qui se fait dans les pays arabes. Nous, on s’est fait ravir notre manière de parler, de nous habiller, de penser… qui ont été transformés en clichés. Il était temps de se réapproprier tout ce que la culture mainstream nous a volé et le défendre fièrement : c’est à ça que sert l’exposition.
Shurik'n et Akhenaton, au Manoir hanté, à Marseille, en 1988, par Jean-Pierre Maéro
Estimez-vous que ce rap engagé s’est déplacé de la France, où il a été extrêmement vif dans les années 1990, vers les pays arabes ?
Non, le rap conscient existe en France, mais il est aujourd’hui minoritaire. Ce n’est absolument pas grave. En France, on a tendance à croire que le rap est systématiquement « conscient ». C’est faux. De 1972 à 1982, le rap, ce n’est que de l’entertainment, de la musique de club. L’aspect conscient arrive quand la presse rock déjà établie se réapproprie le message. Et bien sûr avec l’arrivée de Public Enemy, en 1986.
Puis c’est devenu une tradition française, parce qu’en France, il y a une tradition de plume. Mais on peut avoir une tradition de rap poétique aussi. Il n’y a pas besoin d’être engagé pour faire de la poésie. C’est évident que dans les pays arabes, avec le type de gouvernement, il est impossible d’avoir du rap qui n’est pas conscient. Culturellement, il y a une forme d’orthodoxie traditionnelle qui pousse à faire un rap engagé.
L’exposition est aussi un moyen de mettre en avant l’écriture. Comme celle de Shadia Mansour, par exemple, que je connais bien. Elle a fait de son combat une revendication historique et territoriale, même si je ne suis pas toujours d’accord avec ses prises de position. D’ailleurs, je lui conseille souvent de faire attention à ne pas être trop frontale.
La culture parvient à faire beaucoup de choses. C’est pour ça que les coupes dans les budgets culturelles aujourd’hui en France sont dramatiques. Ce qui s’est passé le 7 janvier est lié à un déficit culturel. C’est la fabrique à crabes qu’on a déclenché il y a une quinzaine d’années avec un combo de télé réalité, de réseaux sociaux, de surreprésentation de soi, de délire messianique…
Je n’ai aucun espoir sur l’existence humaine. Je suis très pessimiste quand je vois les réactions des gens. Le débat, aujourd’hui, n’existe pas. Tout est devenu hyper manichéen. Ou tu es extrémiste, ou tu es laïque. Ou tu es Charlie ou tu n’es pas Charlie… Il ne faut pas que les débats soient capturés par tous les extrêmes. J’ai plus l’espoir qu’elle donne envie, qu’elle fasse naître des vocations, mais rétablir un débat, un dialogue, je n’y crois pas.
Dans une rue du Caire, par Abdo El Amir
Comment expliquez-vous la polémique autour de la pub pour Coca-Cola…
Je me suis fait contacter par Coca-Cola. Ils m’ont donné carte blanche pour parler de ma conception du bonheur… J’ai accepté à la condition que je puisse reverser l’intégralité du cachet à des associations. Bien sûr, j’ai eu un vrai débat intérieur.
Finalement, je me suis rendu compte que ces grosses firmes internationales font plus pour le hip-hop que des entreprises que je défends. RedBull, par exemple, a créé des studios d’enregistrement, a collaboré avec des artistes comme Sean Prize, qui est quand même un rappeur extrême.
Et j’ai réalisé qu’on était soutenus par des entreprises que nous, dans des luttes cheguevaresques des années 1970, on avait définies comme étant le mal. Ma grande déception, c’est de n’avoir aucune entreprise française partenaire de cette exposition.
Et le fait que le hip-hop rentre dans un musée, est-ce que ça ne signifie pas la fin du mouvement artistique ?
Il y a vingt ans, je pensais cela, mais aujourd’hui il me semble qu’il est important de montrer ce que le mouvement a apporté à la culture mainstream et de recontextualiser le rap, de dire aux jeunes : « voilà, tu aimes le hip-hop, mais regarde ton rap, il vient de là ». Le rap, ce n’est pas qu’une Audi, une chaîne en or et un seau Bacardi. L’expo, je ne l’ai pas voulue impérative. Alors oui, le hip-hop entre au musée, mais de manière éphémère.
Propos recueillis par Marie-Lou Morin et Elie Villette
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