mercredi 7 avril 2010

[Libération.fr] Shurik'n : rap martial,art marseillais. Le poète sportif de IAM sort son premier album solo

La confrérie pharaonique marseillaise d'IAM continue de faire germer ses multiples graines. Après Akhenaton, le leader, Kheops, le DJ, et avant Imhotep, l'architecte sonore, c'est au tour de Jo, alias Shurik'n, poète à la voix chaude et sensuelle du groupe, de se lancer dans l'aventure solo, le plus sûr moyen d'«exprimer ce trop-plein de sentiment et de développer une écriture plus personnelle». Avec ce sens de l'individuel-collectif qui caractérise le groupe, Shurik'n a travaillé avec ses copains (Kheops, Imhotep et les autres): «Parce que je suis ça aussi.»

Dans son album, Où je vis (lire page suivante), on retrouve ce goût prononcé pour l'épure de ces nouveaux «journalistes urbains» et ce qui fit la trame de l'Ecole du micro d'argent, dernière production d'IAM considérant le rap comme un art martial. Shurik'n connaît ces deux mondes de l'intérieur. Rencontre.

Code de l'honneur. Je pratique les arts martiaux depuis une quinzaine d'années. En ce moment, je fais beaucoup de capoeira, mais ce fut d'abord le judo, puis le karaté. Ensuite, j'ai changé de pays, je suis allé dans le kung-fu. Dans cette discipline, j'ai remporté des championnats et des Coupes de Provence, deux Coupes de France et un titre de champion d'Europe en 1988. En sept ans, je n'ai perdu qu'un combat, le premier. ça aurait pu me démotiver, mais on ne m'appelle pas la teigne pour rien, et je me suis accroché.

Les arts martiaux, ça fait partie intégrante de ma personnalité. ça m'a ouvert une fenêtre sur le monde. ça m'a amené à rencontrer des gens, à avoir des lectures qui ont enrichi ma culture. ça m'a aussi apporté une hygiène de vie. Je fais beaucoup de sport" quand je peux maintenant, car je suis à gauche, à droite avec le groupe. Quand je suis sur le tapis, il y a pas d'IAM ou de Shurik'n qui tienne, si j'en prends une, j'en prends une.

Ici, on ne connaît qu'une infime partie des arts martiaux. Le kung-fu, par exemple, il y a près de 120 styles externes et 60 styles internes. Le tai-chi, c'est pareil, il y en a des dizaines. Il y a des gens qui pratiquent ça pendant quatre-vingts ans et qui ne sont toujours pas arrivés à la perfection, alors, moi, j'ai encore une sacrée marge.

Vertus éducatives. Aujourd'hui, sur les rings de boxe thaïe ou de kung-fu, il y a beaucoup de mômes qui viennent des quartiers. Ce sont ceux qui se sont impliqués à fond. Même s'il n'y en avait eu qu'un qui s'en soit sorti grâce à ça, ça aurait valu le coup.

Il vaut mieux aller dans une salle de boxe que de s'emmerder au pied du bâtiment. Dans la salle où je vais m'entraîner, il y a une devise: «Si tu commences, va au bout, sinon ne commence pas.» Quand on franchit un obstacle, il ne faut pas s'arrêter pour le regarder, mais continuer à aller de l'avant. Contradictions. Martial, c'est militaire, il ne faut pas perdre ça de vue. Au départ, c'est un art pour détruire, pas pour l'énergie. Moi, ça ne m'a pas apporté le calme, je suis toujours aussi nerveux, mais ça m'a donné une ligne de conduite, des règles. Un code de l'honneur, en quelque sorte. Les samouraïs étaient aussi peintre, maître de cérémonies de thé ou maître d'ikebana (un art floral), poète ou musicien. En même temps, leur vie pouvait se jouer en une seconde. On ne peut plus parler de ça ici, où on n'a plus l'honneur mais la connerie à fleur de peau. Certaines attitudes dans les arts martiaux permettent de faire le parallèle avec le hip-hop, mais pas dans le mode de vie. La contradiction avec le rap, c'est l'absence de code de l'honneur; quand je vois tout ce qui se passe"

Quelles violences? Il n'y a pas la violence mais des violences. La violence gratuite, quand cinquante mecs tombent sur un autre. Ceux qui font ça ne sont pas des paumés, comme on pourrait le penser. Ils se laissent aller à la facilité, ne veulent pas aller à l'école. Ce sont de pauvres cons qui ont des comportements fascistes. Arracher un sac à une grand-mère, je ne comprends pas non plus. Il y a la violence bête, les bagarres. J'ai connu ça, j'ai été violent, mais avec des repères.

Il y a aussi la violence sociale. Les voitures qui brûlent, c'est un cri. Les rappeurs attirent l'attention sur ce qui se passe de moche, mais je n'oublie pas la beauté des choses. Il y a toujours l'ombre et la lumière, le positif et le négatif, tout s'oppose et se complète. Il y a une dualité interdépendante. Si tu supprimes le négatif totalement, ce ne sera pas forcément plus positif.

Si tu veux raconter ce qui se passe, tu es obligé de t'ouvrir aux autres, d'affronter la réalité dans tout sa complexité. Il y a des extrémistes du rap, mais, comme tous les extrémistes, ce sont des cons et ce n'est pas la majorité.

Tolérance. Il faut accepter les gens comme ils sont, sans vouloir gommer ce qui ne plaît pas" Sauf pour les militants du Front national. Ces gens-là n'ont aucun bon côté. Avec eux, je suis sans pitié. Il faut clarifier la situation idéologique et appeler un chat un chat, un fasciste un fasciste. On se laisse endormir. Les gens qui colportent une telle doctrine, je ne leur donne pas une ligne, pas une seconde d'antenne. Pourquoi donner la parole à des gens qui vont te l'enlever s'ils arrivent au pouvoir? Il faut être sans concession avec eux, arrêter de parler de vote protestataire. C'est ce que je fais dans Où je vis et Manifeste, qui ne vont pas trop plaire aux Marseillais, mais tant pis, il faut prendre ses responsabilités. Des gens comme ça, je les aurais pas mis sur terre.

La grande affaire du spirituel. Avant chaque concert, je fais le vide. Mais pas de la méditation, ça je sais pas faire. C'est du travail de respiration, de la relaxation. Avant un combat, c'est pareil, et il vaut mieux.

Je ne suis pas croyant au sens strict du terme. Je crois en quelque chose de supérieur, mais je ne lui donne pas de nom, Dieu, comme tu peux dire Paul. Quand tu entends les gens parler de Dieu, c'est comme si c'était un humain, il a fait ci, il a fait ça" Ça ne va pas. Je crois à la dimension spirituelle, mais pas à une église avec une statue qui ressemble à un être humain. Et puis un livre qui se veut régisseur de la vie des gens ne doit pas être équivoque. Il ne doit pas pouvoir être interprété différemment, sinon, c'est que ça a perdu toute son essence.
Michel Chemin
27 mai 2005

1 commentaire:

  1. Je viens de découvrir un son d'AKH sur la mixtape de Mac Kregor (Tamdem). (Il n'y a aucun rapport avec l'article ^^). Je sais pas si vous étiez au courant; je pense que oui mais je préfère toujours poster le lien ;)

    http://www.dailymotion.com/video/x91bp0_symphonie-du-bitume-grosse-tuerie_music?start=0

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