mercredi 2 juin 2010

Archive IAM & NTM - Dialogue Nord Sud (les Inrocks)

Réunir les deux poids lourds du rap français autour d'une même table ne fut pas une mince affaire, prenant des allures de choc de titans aussi délicat à mettre au point qu'un sommet Kennedy/Khrouchtchev. Les dissensions légendaires entre les deux groupes, montées en épingle par leur entourage, nourries de rimes assassines et de déclarations relayées par l'industrie et les médias depuis des lustres, n'arrangeaient rien. Le morceau d'IAM Reste underground ­ éclat de rire final de cette interview croisée ­ est symptomatique d'une susceptibilité à fleur de peau, abreuvée de malentendus. Si la guéguerre apparaît aussi vaine que dérisoire, le débat de fond l'est moins, reflétant bien la fracture entre deux mentalités. Malgré notre refus d'entériner la tenue d'un duel à controverse, les spéculations alarmistes allaient bon train avant la rencontre : "Ça va être la foire d'empoigne, le clash, règlement de comptes à OK Coral. Ils vont se battre." La tension est effectivement à son comble et l'atmosphère à couper au couteau au début de l'entretien. Mais les regards fuyants font vite place à la franchise, les divergences se font jour et l'abcès se perce au fur et à mesure. D'un côté NTM, Saint-Denis, l'urgence absolue, le devoir de révolte, la rage à l'état brut sans compromis possible. De l'autre IAM, Marseille, l'assurance tranquille, inébranlable, l'indignation réfléchie, la nuance, le recul de la province. Epaulé par Kool Shen, Joey Starr, dont la virulence donne l'assaut, affirme son charisme radical de prédateur. Face à lui, Akhenaton, Shurik'n, Malek et Kephren répliquent avec philosophie. Difficile de faire le tour de dix ans de rap français en deux heures. A la fin de l'entretien, les positions n'ont pas varié mais la détente règne : nous n'aurons pas cru en vain aux vertus du dialogue.

A quoi peut-on rattacher les débuts du hip-hop en France ?

Joey Starr - NTM : 1983, les débuts du smurf, des Américains qui faisaient des démonstrations au Trocadéro.

Akhenaton - IAM : Ce n'est pas venu d'abord avec la musique. Le point de départ, c'est la danse, le break. Pas mal de groupes s'étaient formés, dont certains se sont ensuite raccrochés à la musique.

Kool Shen - NTM : Nous, très vite, on s'est mis aux tags, six mois après.

Quel était le réseau d'information en province ?

Akhenaton - IAM : Il n'y en avait pas. A Paris, ils avaient la chance d'avoir Radio Nova, Radio 7, des émissions dont on récupérait les cassettes. On est beaucoup venu au rap à travers la radio, c'était le premier moyen. Aujourd'hui, il y a beaucoup moins de rap sur les ondes.

Kool Shen - NTM : Au début, on n'a pas du tout accroché au rap français. Pendant des années, on rigolait, on y allait et on leur jetait des trucs, parce que c'était pas au niveau. Les mecs hurlaient dans le micro, ça nous cassait les oreilles. On s'y est mis que fin 89.

Akhenaton - IAM : Etant fasciné par la musique et n'étant pas un grand danseur ni un grand athlète, je me suis vite mis au rap. Je prenais les paroles des groupes américains et je répétais les textes. Le premier rap que j'ai écrit, c'était pour me moquer de mes potes. Je prenais un vieux disque de Slick Rick et je rappais par-dessus. On jouait avec un sound-system parce que le ragga avait de l'avance sur le rap. On était des petits, on avait 15 ou 16 ans et comme les micros étaient ouverts, on allait brailler un coup de temps en temps.

Joey Starr - NTM : On faisait des tags, on était dans le tromé, on rentrait à Saint-Denis et on est tombé sur Johnny Go (de Destroy Man et Johnny Go, parmi les premiers rappers français). On a discuté avec lui et aussitôt après, on s'est dit "Tiens, on va écrire des rimes". On était avec DJ S, (notre DJ) qui ne se prenait pas au sérieux non plus. Et puis, un jour, on m'a proposé de faire un concert et j'ai accepté pour tout le monde, sans demander leur avis aux autres. C'était à l'Elysée Montmartre, on a fait la musique la veille avec Solo ­ du groupe Assassin. Ça s'est bien passé, on sait pas pourquoi d'ailleurs, et ça nous a motivés. Nos premiers textes, c'était des trucs sur les graffitis, sur nos histoires de hangars.

Que s'est-il passé entre 83 et 90 ? En 84-85, showbiz et médias ont décrété que le hip-hop était mort.

Kool Shen - NTM : Ce qui a tenu le hip-hop à Paris, c'est les tags dans le métro et les parties à la Chapelle, dehors avec les platines.

Akhenaton - IAM : A Marseille, il y a eu une extinction, aucun rap, aucun tag. Après la danse, il y a eu un tamisage massif. Il n'est resté que des groupuscules. On connaissait les graffitis par l'intermédiaire des Parisiens qui descendaient à Marseille, comme Mode 2. Ça a dormi et puis, avec la sortie de la compilation Rappattitude en 1990, ça a redémarré chez les jeunes. A Marseille, dans les quartiers, il y avait toute une mentalité réfractaire au rap, à la musique, à l'habillement. A l'époque, quand on mettait une casquette, les mecs rigolaient.

Avec le recul, quel a été le rôle du présentateur Sydney ?

Joey Starr - NTM : Il ne fait pas partie du hip-hop. Les gens qui pensent qu'il a ouvert des portes se trompent. Ce qu'on vivait, c'était autre chose que ce qu'il montrait. Au départ, sur Radio 7, il passait de la soul, du funk. Il faisait des soirées qui cartonnaient dans une boîte de Paris, l'Emeraude. En banlieue, tout le monde était branché sur Radio 7. C'était plus mature, ça avait une autre image. Et puis sur TF1, d'un seul coup, il a transformé le hip-hop en musique pour les 12 ans. Mon quotidien n'avait rien à voir avec ces gens qui se trémoussaient à l'écran. Sydney a ouvert les portes à l'utilisation du rap dans les pubs télé pour le camembert ! Quand tu arrives derrière ça avec quelque chose à dire, tu prends la tête à tout le monde. Pour avoir été à New York, il était au courant de ce qu'était vraiment le hip-hop et il ne l'a pas du tout décrit dans la continuité culturelle des Blacks américains : un truc sérieux, une culture de la rue.

Etes-vous nostalgiques des débuts du hip-hop ?

Joey Starr - NTM : Au début on était naïfs, novices ­ rien que le fait d'être un groupuscule suffisait. Il y avait une petite vie de famille joviale et puis, tout d'un coup, c'est devenu autre chose. Tout le monde s'est mis à se regarder de haut alors qu'avant, on se foutait de nos sapes, on ne venait pas se montrer, on venait danser.

Akhenaton - IAM : Si j'ai une nostalgie, c'est celle des soirées où il y a deux cents personnes, où il y a le micro ouvert, où le DJ envoie un instrumental, où tu montes et fais ton truc. C'est là que se créaient les groupes, les nouveaux styles, les morceaux et les idées. Aujourd'hui, c'est plus facile d'accéder. Tu as des modèles. Il y avait seulement dix ou quinze mecs qui rappaient à Marseille, tu te disais "Putain, ce soir, untel a assuré" et le mois d'après, c'était un autre parce qu'il avait été vexé et qu'il avait travaillé ses textes. Le rap évolue avec une certaine compétition, il a un esprit sportif. Si tu décroches six mois, tu es perdu. Les jeunes d'aujourd'hui sont doués parce qu'à 12 ans ils savent ce qu'est un sampler. Ils ont faim aussi, ils en veulent.

Kool Shen - NTM : La différence par rapport à avant, c'est qu'il y a tout de suite la notion de business : "Ah, tu fais du rap ? Fais déjà des refrains." Les jeunes débarquent, ils n'ont jamais fait de scène, mais ils ont un refrain. Leur passion doit être moins forte que la nôtre.

Akhenaton - IAM : On portait notre matos nous-mêmes et notre DJ voulait trois platines ­ la folie des grandeurs. Il habitait au cinquième étage, il fallait porter la malle dans les escaliers, puis jusqu'au train. On arrivait à Avignon, il n'y avait personne au concert, sauf nos copains qui prenaient le train à l'oeil en voyageant sous les banquettes. Ça, les jeunes ne le vivent plus. Il y a des concerts, des tremplins rap. Nous, on était obligé de jouer dans les festivals de rock, c'est la raison pour laquelle les groupes de rap français peuvent tenir sur scène beaucoup plus longtemps qu'un groupe américain. On était obligé d'assurer deux heures sur scène, on perdait un poumon à chaque fois. Aujourd'hui, les trois quarts des maisons de quartier, des centres sociaux, ont des samplers. De mes yeux vu, à Aubagne, il y a deux samplers.

Kool Shen - NTM : A la MJC de Saint-Denis aussi.

Akhenaton - IAM : Avant, tu avais des cerceaux pour faire du hoola-hop ; maintenant, dans les MJC, tu as des samplers. Heureusement qu'on n'en a pas chié pour rien... C'est bien qu'ils profitent, mais tu vois aussi des jeunes qui veulent des trucs trop vite. Pour nous, le rap doit rester underground pour beaucoup de raisons. Si ça devient un marché de multi-millions de dollars, comme aux Etats-Unis, il va forcément y avoir des trucs négligeables. Maintenant, il y a parfois des morceaux qui peuvent sortir du lot, comme nous quand on a fait Le MIA : on n'imaginait jamais il y a quatre ans que ça marcherait comme ça.

Comment expliquez-vous qu'il y ait si peu d'unité dans le hip-hop français ?

Akhenaton - IAM : On peut dire que la banlieue parisienne regroupe la moitié du public de rap. Dans le Sud, c'est plus sporadique. A Marseille, tu fais une soirée dans le quartier pour 20 f l'entrée et les mecs ne veulent pas payer.

Joey Starr - NTM : Le challenge fait avancer le shmilblick. Mais il y a des gens qui confondent. La première fois qu'on est passé sur Radio Nova, on a dit qu'on venait de Saint-Denis, au nord de Paris. Ça a été mal interprété, comme si on voulait dire qu'au Sud, c'étaient des bidons. Le détonateur de la mauvaise ambiance, c'est ça, plus le côté immature et mégalo de notre nature. Il y a aussi ­ et là, je prends IAM comme exemple ­, le décalage dans le discours entre votre album et le moment où je vous vois à la télé. Ça crée des divergences. Quand on vous voit en conversation avec les flics à Envoyé spécial, plein de gens ne se retrouvent pas, sont déçus.

On vous reproche aussi, NTM, d'avoir fait une interview avec un flic dans Le Nouvel Observateur.

Joey Starr - NTM : Je tiens à préciser qu'il s'agissait d'un ancien flic qui est coréalisateur du film L. 627 et, au final, il en est ressorti quelque chose de positif.

Kool Shen - NTM : A la fin de l'interview il disait : "Après manger, il vaut mieux pas croiser un flic parce qu'ils ont souvent un coup dans le nez."

Joey Starr - NTM : Franchement, ce qui me dérange, c'est que les gens ont une attitude et qu'après, ils jouent la carte de la démagogie. Et ça, dans mon éthique, ça fait tache.

Akhenaton - IAM : A Marseille, il y a un truc très spécial : la ville est beaucoup plus petite qu'on pense, les têtes se connaissent. Quand tu partais en courant après une connerie, le flic criait ton nom, alors tu t'arrêtais tout de suite. On se connaît depuis longtemps. Jésus (un flic) on le connaît, le Polonais (un autre flic) on le connaît et on a parlé avec eux pour la simple et bonne raison qu'on sentait que ça allait exploser dans notre quartier.

Joey Starr - NTM : Il n'y a pas de con-certation possible. D'un côté, des gens font leur boulot ­ les flics ­ et, de l'autre, des gens vivent en parallèle et sont dans le besoin. Ça crée deux univers. Je trouve gratuit d'aller discuter comme ça. Je ne veux pas jouer le Bad Boy, mais je crois que la situation est la même partout vis-à-vis des flics. Je me dis que cette concertation-là, c'est de la promotion et je ne suis pas le seul à le penser.

Kephren - IAM : Sur deux heures et demie, il n'est sorti que cinq minutes à l'écran. Ils ont cherché la sensation, on s'est fait piéger.

Joey Starr - NTM : J'ai un oncle qui est flic, on ne se parle pas. Famille ou pas, chez nous c'est viscéral. J'ai déjà un problème avec les fonctionnaires alors que la plupart des gens de ma famille sont fonctionnaires. Pour moi, c'est l'occupation policière, je vis comme les Français en 1940. Moi c'est Nique La Police. Un jeune qui se fait tuer par les flics dans un commissariat, on tue l'avenir, ça n'a pas lieu d'être. Une fois, on s'est fait serrer et j'avais fait l'erreur de laisser notre disque sur la plage arrière de notre voiture. Au départ, le flic me regarde, il fait "Ouais, IAM". Et puis il fouille et il fait "Ah, NTM ? c'est bon, on les charge."

Akhenaton - IAM : Vous êtes représentatifs de la situation et de la manière dont vous vivez les choses à Paris. Chez nous, il y a moyen de discuter ­ pas chez vous. Si j'avais grandi à Paris, ça aurait été différent. Je ne pense pas qu'on ait fait une erreur.

Kool Shen - NTM : Quand je vous vois à Coucou c'est nous avec Dechavanne, je ne comprends pas.

Akhenaton - IAM : Mais quand j'y vais, je suis ce que je suis.

Joey Starr - NTM : Ah ben voilà, alors change de ton dans tes lyrics... J'entends parfois dire qu'on vous jalouse. Mais moi, je crois que les gens qui font partie de l'underground ­ comme nous ­ ne peuvent pas vous jalouser dans ce genre d'action. Ils sont comme moi, ils ne se retrouvent pas, il y a un trop gros décalage.

Kool Shen - NTM : Il y a des gens qui me disent "Mais toi, tu sais pas rigoler ?" Je rigole avec mes copains, mais je ne vais pas dans l'émission reine des beaufs. Et y aller, c'est la créditer. Il y a plein de cas où les émissions se passent mal avec nous parce qu'au premier dérapage, on est froids. Après, les gens pensent qu'on est des têtes de cons, mais on essaye de défendre une éthique. Si même les gens qui ont des paroles intelligentes comme IAM se mettent à faire ce genre de chose, c'est la porte ouverte au laisser-aller.

Joey Starr - NTM : Je pense que vous n'avez pas conscience du fait qu'il y a des jeunes de 14-16 ans qui écoutent vos morceaux en fermant les yeux, qui voyagent mortel. D'un seul coup, ils vous voient à Dechavanne, ils tombent dans un puits. Vous n'avez pas conscience que vous brisez le coeur de tous ces mecs.

Kephren - IAM : Que je sois avec mes copains ou à la télé, c'est pareil. C'est mon attitude. Toi, tu prends ça autrement. Il y a des textes sérieux sur notre album et aussi des textes pour rigoler.

Joey Starr - NTM : Ce que tu ne comprends pas, c'est que je crois que vous êtes comme nous. On a un humour quand on est entre nous, mais si tu mets une personne extérieure pour écouter nos conneries, il va se dire "Mais ils sont bêtes". On ne rigole pas à la télé parce qu'on sait qu'on n'a pas le même humour que les autres et qu'on va nous prendre pour des cons.

Est-ce que le rap français s'affranchit du rap américain ?

Joey Starr - NTM : Je pense qu'on a besoin des rappers américains pour évoluer. Ce n'est pas notre culture, il nous faudra encore du temps pour créer un truc vraiment original. On fonctionne en parallèle aux Américains. IAM a un avantage sur nous, grâce à leur accent qui fait rouler le français. Nous, on parle le français comme des Teutons. Eux, ils ont un français qui chante latin à mort. Il y a des sonorités qui swinguent, d'autres pas. En France, dans les studios, il commence à y avoir des assistants qui écoutent du rap, qui ont des dreadlocks. Ça veut dire qu'un jour, c'est eux qui seront derrière la table et là, on pourra parler de mixer ici. Les Américains, ils écoutent Solaar ­ ça fait exotique, son clip passe sur MTV. Là où j'ai été à New York, ils entendent le son de Solaar et ils sentent que c'est une feuille qui chante. Une feuille, ça rappe pas. Ce qui m'énerve chez Solaar, c'est que tu as l'impression qu'il est le premier de la classe. Pourtant, j'écoute aussi des trucs doux avec des rimes inoffensives et ça me plaît. Mais certains jeunes attendent autre chose de nous.

Akhenaton - IAM : On n'est pas d'accord avec vous pour Solaar. De toute façon, il n'y a pas plus sectaire que les rappers américains. Ils gerbent les groupes de leur propre ville. Ils gerbent les groupes qui rappent en espagnol. En France, ce n'est pas pareil, il y a la ségrégation de l'argent, ou raciale avec les problèmes d'immigration, en tout cas une ségrégation sociale : parce que les Chtimis, dans le Nord, dans les banlieues de Lille, ne sont peut-être pas noirs mais ils subissent une ségrégation : celle du porte-monnaie de leurs parents par rapport aux gens qui habitent le centre ville de Lille.

Dans les paroles en français, il n'y a pas de dérapages misogynes, homophobes, antisémites ou racistes.

Joey Starr - NTM : Attends un peu, ça va venir. Il y a moins de racisme et moins de misogynie parce qu'ici, on est encore obligé d'avoir un thème intelligible ou une histoire sympathique à raconter. Quand les petits jeunes qui sont toute la journée à tourner en rond vont débarquer, là tu verras. J'ai entendu des jeunes mecs rapper, des mômes qui n'arrêtent pas de se friter et de fourailler avec les mecs de la cité d'à côté ­ et leurs textes sont à base de ça.

La mentalité des maisons de disques en France a-t-elle évolué ?

Akhenaton - IAM : Il y a eu un moment où elles ont signé beaucoup de groupes qu'elles ont lâchés en voyant que ça marchait moyennement. Elles recommencent à signer parce qu'elles ont vu que les ventes commencent à regonfler. Les maisons de disques sont là pour faire de l'argent. L'avenir du rap en France passera par les petits labels indépendants créés par les mecs eux-mêmes, mais aussi par les salles de concerts, c'est ce qui manque le plus.

Joey Star - NTM : Si NTM et IAM ont la capacité de produire des gens et qu'on n'est pas exigeant, qui le sera prochainement ? L'exigence qu'on a pour soi-même, il faut l'appliquer aux autres aussi. Pour la crédibilité de ce qu'on fait, pour que les rockers arrêtent de croire que c'est une culture gadget ou un art gadget. J'ai envie d'écouter un jour du rap français qui cartonne vraiment. Mais il manque toujours l'interprétation, le phrasé. On est passé à une autre ère et ces roulements, tout ce trop de mots que j'entends et qui ne dit rien en plus, je suis désolé, ça ne me plaît pas. Il y a des jeunes qui viennent me voir et je suis sincère avec eux : je leur dis que ça me prend la tête ­ c'est pour ça que beaucoup de gens ne nous aiment pas. Je me dis mais où il est le challenge ?

Comment nourrissez-vous vos rimes ?

Akhenaton - IAM : Je lis pas mal mais le plus souvent, c'est des réactions vives devant mon écran de télévision, un journal, un événement, un reportage : des déclics violents, c'est là que tu fais les meilleurs textes. Des fois, si je me lâchais sur la Bosnie, je sais que je pourrais écrire des choses terribles. Mais quand je réfléchis le lendemain, j'attaque les problèmes sous un autre angle. Quand je vois un reportage avec des musulmans qui se font tuer en Bosnie, mon premier réflexe c'est de rêver qu'une bombe atomique tombe sur Belgrade. Après, je réalise qu'il y a à Belgrade des innocents.

Joey Starr - NTM : Pourtant, quand tu réfléchis le lendemain, la situation est bien toujours la même. C'est ça le rap. Toi, tu te remets trop en question. On écrit en réaction. Quand tu as un sentiment de malaise, tu ne cherches pas les mots. Les jeux de mots, t'en as rien à branler quand tu as vraiment un truc à dire. Tu cherches trop à structurer tes idées quand tu cherches des mots. Il faut que ce soit simple et efficace.

Shurik'n - IAM : Quand tu vas à la pêche aux mots, ça devient un exercice de style, ça perd son essence.

Le basket, le sport hip-hop, commence à prendre en France. Pourrait-il prendre la place du foot ?

Kephren - IAM, indigné : Dans mon quartier, ça ne prendra jamais la place du foot. Je ne critique pas le basket, j'y joue, mais c'est l'effet de mode. On a fait croire aux minots qu'ils allaient devenir des Michael Jordan.

Akhenaton - IAM : En 90, on leur a tous fait croire qu'ils allaient devenir des stars du rap et, en 92, on leur a tous fait croire qu'ils allaient devenir des stars du basket. Dans mon coeur, ça ne remplacera jamais le football.

Kool Shen - NTM : Moi, je suis PSG. Je vais au Parc depuis vingt ans, bien que j'aie été supporter de l'OM pendant longtemps (sourire)... Vous ne connaissiez même pas l'OM à l'époque (rires)... Tous mes potes sont pour l'OM. Vous, les Marseillais, je sais que vous avez ce côté parano vis-à-vis des Parisiens, mais il y a combien de supporters de PSG à Marseille ? Douze ? Alors qu'à Paris, il y a énormément de supporters de l'OM.

Akhenaton - IAM : Le PSG est une belle équipe, mais on ne peut pas supporter le kop de Boulogne et France Football.

Kool Shen - NTM : Ce qui est bien à l'OM, c'est qu'il y a aussi une éthique. A la vie à la mort.

Akhenaton - IAM : Cette année, comme on est en seconde division, on se venge avec Milan.

Joey Starr - NTM : J'ai une question à vous poser. Je voudrais savoir à qui s'adresse le morceau Reste underground (attaque contre le snobisme de l'underground français, en face B de Le Feu). Je vous dis franchement que moi, je suis très bête, alors je le prends pour moi. Et je vous réponds, je reste underground ; "les petits juges de l'underground", comme vous dites, on en a besoin.

Akhenaton - IAM : Mais non, ce n'est pas dirigé contre vous.

Shurik'n - IAM : C'était surtout en réaction aux fanzines qui venaient nous voir avec des idées reçues, des questions à la con ­ notamment de pognon à propos du MIA, tout en se retranchant derrière l'underground pour leurs critiques, nous accusant de ne pas en être.

Kool Shen - NTM : Quand même, on sent bien que c'est tourné contre nous ce morceau.

Joey Starr - NTM : Comme on est les champions de l'underground, on l'a pris pour nous. C'est bien, ça nous a aidés.

Kool Shen - NTM : Sur le morceau, il y a cette rime "virez-moi donc..."

Kephren - IAM : "... à la diction shamallow."

Kool Shen et Joey Starr - NTM, interloqués : à la quoi ?

Kephren - IAM : A la diction shamallow. C'est-à-dire essayer de rapper avec des shamallows dans la bouche.

Joey Starr - NTM : Oh merde, c'est pas ce qu'on avait chopé !

Kool Shen - NTM : On avait compris "Virez-moi donc ce Al X en shamallow." Al X, c'est un copain à nous. Faut pas s'attaquer à l'animal ­ tu t'attaques à lui, tu t'attaques à nous !

Joey Starr - NTM : C'est que nous, on analyse (éclat de rire général)...

Akhenaton - IAM : Il faut croire que sur cette rime j'ai vraiment eu la diction shamallow.

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