mercredi 14 juillet 2010

Interview IAM aux Pyramides (JDD) "Le résultat de 20 ans de scène"

Vendredi soir, les IAM célébraient leur vingt ans de carrière avec un concert donné en Egypte au pied des pyramides. Un symbole fort pour ces rappeurs égyptophiles comme en témoignent leurs pseudos... Dans la foulée du concert, leJDD.fr à rencontré les membres d'IAM pour recueillir leurs impressions. Interview menée au pas de charge avec Akhenaton et DJ Kheops.

Quelles sont vos impressions après ce concert donné au pieds des pyramides?

Akhenaton: Vidé mais heureux. Durant le concert, je me suis retourné à plusieurs reprises vers les pyramides. Et je me suis dit: "nous on va passer et tous ces monuments vont rester". Mohamed Ali, le sultan ottoman avait dit: "les hommes redoutent le temps, mais le temps redoute les pyramides". J'ai eu cette pensée là: le concert va se terminer, on va démonter la scène, des générations vont passer, on sera morts depuis des années et ce sera exactement pareil. On est content car on a rêvé. On parle du téléchargement, de la crise du disque. Dans un tel contexte, il est nécessaire de monter un évènement de cette nature. Dans toute son approximation et malgré les aléas et incertitudes liés à son organisation. J'ai accepté que la forme géométrique carrée n'existait pas en Egypte.

DJ Kheops: C'est le résultat de vingt ans de scène. Pour le concert, on a connu des répétitions rocambolesques, sur un temps très court. Mais le jour J, le concert est là. C'est notre fierté: être prêts, à l'heure H, même si on ne l'est pas.

A.: Cette idée de jouer au pieds des pyramides est née en même temps que le nom d'IAM, en 1988, au moment de Concept, notre première cassette autoproduite. A l'époque, on demandait au président Moubarak de nous rapatrier car on se considérait comme des réfugiés politiques en France. C'était nos conneries de l'époque (rires). On l'avait faite dans une cuisine sur un quatre piste. Du délire total, on l'écoutait dans la voiture?

DJ K.: On n'avait pas de voiture?

A.: ...dans la voiture des autres, alors. Mais elle était quand même arrivée entre les mains du PDG de Warner et on avait fait la première partie de Madonna, trois Bercy, sans même être signés.

Comment est née cette passion exprimée dès votre premier album pour l'Egypte antique?

A.: J'ai toujours été attaché à l'histoire de l'humanité. J'ai grandi au sein d'une famille communiste, mes parents n'avaient pas une foi catholique, comme on l'entend au sens basique du terme, mais beaucoup plus mystique. Ils ont toujours eu ce sens très biblique, historique. A travers ce type d'éducation, je me suis très vite intéressé à toutes les civilisations antiques et notamment egyptienne. A 16 ans, la lecture de Cheikh Anta Diop, fut pour moi une révélation, comme quoi l'Egypte était le centre de la civilisation, y compris moderne. Le rap permet de fondre sa passion dans l'art lui-même. Nourrir notre discours de cette imagerie antique, c'était aussi une manière d'amener du rêve. Je suis un enfant d'un certain cinéma américain et français qui a distillé du rêve. Je n'ai fait que rêver mon enfance. On doit aussi pouvoir le faire avec la musique. Dans le rap, à force d'imposer une forme de réalité qui existe dans nos paroles, on oublie trop souvent d'amener aussi de l'évasion du rêve. C'est aussi la beauté de ce métier.

DJ K.: A l'époque, j'animais une émission sur une radio locale communiste. On fouillait dans la discothèque et on est tombé sur le disque Sons et Lumières de 1960 de Gaston Leroux et Gaston Bonheur. Au sens propre et figuré, nos noms de rappeurs viennent directement de ce double vinyle: Kheops, Imothep, Akhenaton, Kephren.

A.: En fait, le plus précieux dans le hip-hop, c'est de pouvoir faire scratcher son nom d'artiste. Avec ces noms, c'est un peu comme si on existait déjà.

Bizarrement, durant votre concert, vous n'avez repris, à l'exception du MIA, aucun morceau de vos deux premiers albums qui étaient les plus marqués par l'imagerie de l'Egypte ancienne?

A.: On n'a pas eu le temps. C'est un peu technique, mais pour les chanter, il aurait fallu les recréer. Avec trois mois en plus, on aurait pu y arriver. Et puis, il existe un côté évolutif au rap. Certains flows de l'époque seraient difficiles à refaire sur scène, avec des rythmes totalement différents. Les flows sont trop vieux. On fait quand même du rap, on a toujours eu cette exigence de la nouveauté, du changement.

A l'heure du 20e anniversaire, vous éprouvez de la nostalgie?

A.: On ne s'inscrit pas dans la nostalgie. On cherche avant tout à s'amuser, dans la tradition de la soul et du jazz. En même temps, j'aime bien la nostalgie, elle fait partie de notre culture méditéranéenne. Je l'ai déjà dit dans mes textes: "On chante parce qu'on est heureux d'être tristes". C'est une phrase napolitaine, mais elle est en nous. Il y a la nostalgie des bons moments passés.

Comment vous avez sur gérer les conflits d'ego inhérents dans une aventure collective?

A.: On parle beaucoup, on se dispute.

Shurik'N (venu nous rejoindre): Notre technique, c'est le "crevage" d'abcès immédiat. On est tous impulsifs, quelque par. On ne laisse rien se gangréner, ça gueule et ça débat direct. Et puis à Marseille, on possède un vaccin anti-grosse tête et anti-prise de tête: l'humour. On se chambre beaucoup, cela permet de dédramatiser les désaccords et les disputes. Et quand le désaccord est trop profond. On vote. Et ensuite tout le monde suit la décision majoritaire. Et puis on s'est toujours préservé des plages de liberté pour nos albums solos. C'est une respiration nécessaire. On arrive à se construire dans une entité IAM où les membres individuellement sont tous très libres. C'est pas le KGB. Les sous-ensembles circulent librement dans l'ensemble.

Votre définition de l'ego?

S.: Un petit carré pour construire des bâtiments, tu peux faire des grues aussi. L'ego, vu que l'on passe nos journées à se descendre à la moindre erreur, il n'a pas trop sa place.

A.: Il faut en avoir quand même. Tous les artistes sont des égoïstes. Ils se placent au centre de leur art. Et ils construisent. Attention à ne pas confondre avec l'égocentrique qui fait tourner l'univers autour de lui. Ce qui est très différent.

IAM existe depuis vingt ans. Votre discours a-t-il évolué et si oui, dans quelle mesure?

A.: Bien sûr. Et heureusement. J'ai même écrit un morceau, Une journée chez le diable où je fais mon mea culpa sur un rap écrit cinq ans plus tôt, avec lequel je n'étais plus d'accord. On accepte nos contradictions. Comme le rapport à la France, par exemple. Quand nous étions jeunes, nous étions ultra-régionaliste et anti-Etat. Sur notre album, on dit "le drapeau français, il est aussi à nous. On va construire, avec nous. Au lieu de se mettre systématiquement en marge". Et puis le fait d'avoir des enfants, que tu le veuilles ou non, ça te change.

En vingt ans de carrière, qu'elle est la chose la plus importante que vous ayez apprise?

A.: Pour avancer, progresser, il faut beaucoup travailler. C'est le secret. Même si c'est la rigolade, la débandade, même si de l'extérieur les gens nous voient comme un groupe qui avance d'une manière hirsute, hétéroclite, bordélique. Nous avons des défauts, mais nous sommes restés un groupe très travailleur, concentré. On appartient à cette génération, comme Assasin ou NTM, qui vit sa passion dans cette musique là. Des fois, on se sent étranger dans notre musique. Et puis on rencontre des rappeurs comme Kery James, Oxmo Puccino, Youssoufa? Et heureusement, on se sent moins en minorité.

DJ K.: A notre époque, le rap était un hobby et une passion. Aujourd'hui, les mecs qui commencent à faire du rap dans les cités, c'est pour prendre du pognon, ils veulent la carte "gold" tout de suite.

C'est le formatage du rap?

A.: Des critères de ventes sont venus se greffer sur l'acte créatif. Plus un discours a vendu et plus il vendra. C'est le danger majeur du rap: l'automarketing. Le marketing intégré dès la création des morceaux. Nous on a toujours voulu faire un album différent du précédent. Quitte à se mettre en danger, a passer par des stades parfois douloureux. Mais on marche et on continuera toujours à marcher sur un fil.

Après vos vingt ans de carrière, vous pensez déjà à la suite?

A.: Oui, une suite implicite et elle revêt une importance capitale. On va jouer tous les festivals de cet été avec la même formule du concert donné au Caire. Avec un groupe de musiciens pour nous accompagner. Ce qui est une première pour nous. On va notamment passer aux Eurockéennes, comme l'année dernière. On adore ça, le croisement de public, notamment rock.

DJ K.: Quand tu es un groupe de rap et que tu joues devant un public rock, le public réagit. Quand tu es un groupe de rock et que tu joues devant un public rap, c'est même pas la peine.

A.: Dès le début, on a été rodé à jouer avec des groupes de rock, avec la Mano Negra, FFF, les Négresses Vertes, avec les Rita. On connaît.

Propos recueillis Eric MANDEL, au Caire (Egypte) - leJDD.fr

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