mardi 30 mars 2010

[Libération.fr] Akhenaton, un Marseillais à Paris

LA SEMAINE DE AKHENATON. Rappeur agile, auteur exigeant, compositeur inspiré, Akhenaton a contribué à donner au rap français ses lettres de noblesse. Il concilie depuis les débuts d’IAM succès populaire et fidélité à l’éthique du hip-hop. Son livre, la Face B est écrit en collaboration avec Eric Mandel (Don Quichotte, mars 2010). Il raconte ici son actualité de la semaine passée. Lire la suite

SAMEDI. Souffle de liberté

J’ai accompagné mes enfants à leur baptême de capoeira, où ils passaient leur ceinture bleue et blanche après cinq ans de pratique.

La capoeira est un sport extraordinaire sur bien des points. Tout d’abord, elle fait travailler harmonieusement tous les muscles du corps.

Ensuite, elle requiert un grand sens de l’équilibre et du rythme. En effet, pendant les «jeux» (combats ou les coups ne sont pas portés), les capoeiristes chantent et enchaînent leurs techniques au son des percussions, des clappements de mains et du birimbao (instrument à une corde brésilien).

On peut voir de nombreux sourires sur les visages des élèves, ce qui contraste un peu avec les faciès crispés qui accompagnent les sports où il y a un enjeu.

Enfin, les origines de cette discipline plongent en Afrique et, lorsque les esclaves noirs du Brésil se virent interdits de pratiquer toute forme de sport de combat et toute musique, ils adaptèrent leurs techniques en les rapprochant beaucoup plus près du sol, de manière à ce que les maîtres ne puissent les apercevoir dans les hautes herbes.

Un vrai souffle de liberté. Loin des incompréhensibles déchirements entre supporters, la Capoeira est plus qu’un sport, c’est un art de vivre.

DIMANCHE. Leçon pour les profs

Les devoirs, comme tous les autres jours d’ailleurs. Ma fille qui est en classe de 6e finit parfois son travail à… 22 heures ! Mais c’est normal, nous sommes un pays de génies, non ? Comment une société d’adultes qui aspire à travailler moins de 35 heures peut-elle cautionner une école où les enfants travaillent 40 heures ?

Tout simplement, parce que beaucoup de parents se projettent dans la réussite de leurs enfants, tout comme au football le dimanche, où les pères hurlent comme des veaux sur leurs gamins de 8 ans en espérant qu’ils deviennent un jour des nouveaux Zidane.

Pourquoi est-on si prompts à s’aligner sur les autres pays européens en matière de fric et d’économie et si lents à adopter les rythmes scolaires de la plupart d’entre eux ? Parce qu’on est persuadés qu’on est meilleurs qu’eux.

Pour finir, le vent de la passion ne souffle que très peu sur le corps enseignant, si bien que l’on se retrouve avec des professeurs démotivés, ce qui peut se révéler dangereux pour l’implication de certains élèves qui renvoient à ces profs l’image désintéressée qu’ils perçoivent. A la décharge des enseignants, ces derniers se retrouvent en sous-effectifs et bombardés de mille directives du ministère de l’Education nationale, qui les oblige à changer d’orientation, de méthode et de programme.

Tout ce que je sais, c’est que ma fille - qui était une excellente élève et adorait l’école en primaire - travaille toujours aussi bien mais déteste se rendre au collège. Elle n’y croise pas des Schtroumpfs, des policiers ou de dangereux trafiquants, mais des profs, dont certains devraient se répéter tous les matins, au-delà de leurs revendications légitimes, au-delà du problème de la violence, qu’ils ont aussi la vie de gamins sensibles entre leurs mains.

LUNDI. Vous n’avez pas peur ?

Hier, je n’ai pas voté. Pour la deuxième fois depuis que j’ai 18 ans je ne me suis pas rendu aux urnes. Il faut dire que le débat était d’une subtilité incroyable : identité nationale, burqa, minarets, Ali «Pablo Escobar» Soumaré… Que du fin, du très fin.

Et on s’étonne que le Front national remonte ? Le FN réalise ses meilleurs scores dans les régions les plus pauvres et où les gens passent énormément de temps devant la télé. Vous n’avez pas peur ? La télévision va s’en charger. Et quand ce n’est pas les délinquants armés en banlieue islamo-terroristo-violents à l’école, Français mais d’origine étrangère, c’est le virus de la mort H1N1, effroyable.

MARDI. O sainte-Geneviève !

Paris. Après cette enfilade de points, on s’attendrait logiquement à ce qu’un Marseillais enchaîne avec une belle fin de phrase dont seuls les supporters acharnés ont le secret, mais non. Me voilà dans la capitale depuis deux jours, il fait un temps splendide, beaucoup de gens ont le sourire et c’est vraiment agréable de déambuler dans les rues.

Cela fait vingt ans que j’y viens, toujours en charriant mes amis du cru, et je dois dire que les journées de mars à mai y sont particulièrement plaisantes. Sainte-Geneviève, le doux voile du printemps te va si bien.

MERCREDI. Zemmour mord

Depuis deux jours, j’enchaîne les entrevues dans de nombreux médias et je n’entends qu’un nom : Eric Zemmour. Ce qui m’attriste dans cette histoire, c’est de voir un homme si cultivé prononcer des propos aussi stupides.

Tous ces livres dévorés pour nous livrer une théorie digne des grands soiffards coincés à l’apéro d’un sombre bar, c’est triste. Aussi triste que si l’on affirmait comprendre que les policiers contrôlent les Blancs au faciès, puisque presque tous les pédophiles, les mafieux et les délinquants financiers sont blancs.

Ce pays est déjà très divisé, les personnes comme Zemmour finissent le travail. Il a peut être pris l’habitude de «mordre» les invités inoffensifs et peu habitués à l’arène médiatique qui se rendent sur le plateau de Ruquier, en se disant que cette fois-ci, il peut aller encore plus loin.

Je pense qu’il est déjà allé beaucoup trop loin et je ne comprends pas que le Figaro et France 2 ne prennent pas des mesures à son encontre. C’est vrai qu’il n’y a pas grand-chose à attendre du service public qui avait gardé Pascal Sevran à l’antenne après qu’il a dit : «La bite des noirs est responsable du sida en Afrique.» Il ne faut pas que la carte de presse devienne un bouclier derrière lequel se cachent les propos les plus infâmes et les pensées les plus discutables.

Eric, vous me faites penser à un petit élève timide et dispensé de sport qui cherche à se venger car il s’est fait voler son pain au chocolat par un camarade. Sûrement un Noir ou un Arabe…

JEUDI. Retourner sa veste

Laurent C., mon attaché de presse, sur le trajet menant à un plateau de télévision, allume la radio, et j’entends que la taxe carbone est supprimée. Ah ?

Cela fait quand même suite à l’étrange déclaration du président de la République au Salon de l’agriculture. Au-delà du bien-fondé ou non de ladite taxe, les actions et les déclarations qui se contredisent deviennent monnaie courante au sein de ce gouvernement. Il faut dire que les gens se sont habitués aux annonces et comportements grotesques des personnalités politiques de tous bords… et ils ne leur en tiennent plus rigueur. Alors, pourquoi se priver ?

Ce type de «retournage de veste» n’aurait pas fait cinq minutes dans les années 70, 80 ou 90. Mais depuis que le passeport en papier de Mohammed Atta a traversé un mur de flammes à 700 degrés pour se retrouver intact sur le sol de Manhattan, on peut bien croire en une personne qui lance le Grenelle de l’environnement et qui affirme peu de temps après qu’il faut arrêter avec l’écologie à outrance dans l’agriculture.

VENDREDI. Sortir par le haut

La semaine de promo à Paris a été fatiguante, voire épuisante, mais extrêmement enrichissante. Je réalise la chance que j’ai de faire ce métier. La chance de me lever tous les matins pour faire ce qui me plaît et c’est un honneur pour moi d’écrire ces quelques lignes. Et malgré mes coups de gueule, j’ai la volonté et l’intime conviction que l’on peut sortir des problèmes qui secouent notre beau pays par le haut. Oui, la vita e bella…

Akhenaton

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