mardi 13 avril 2010

A propos de la Face B - Abd Al Malik: "L'aboutissement d'un rêve"

Le slameur-écrivain Abd Al Malik a lu La Face B*, d’Akhenaton, coécrit par notre collaborateur Eric Mandel.

"Le monde est un ghetto. Voilà le vrai résultat de tous ces siècles de civilisation…" C’est peut-être ce que s’est dit le jeune Philippe Fragione, sur le Vieux-Port à Marseille un jour de galère (romaine) avec ses potes, de retour d’un voyage à New York, où tout se mélangeait dans sa tête. Sa passion pour les civilisations anciennes, l’Italie, l’Amérique, la famille, les amis, Plan-de-Cuques, Marseille, Paris, la campagne, la rue, le rap, l’industrie du disque et le fer qui crache le feu. Ses soleils et ses lunes à venir – entendez sa propre famille en devenir – et ceux et celles qui alternent dans leur course quotidienne pour éclairer la misère qu’une fois mué en Akhenaton le jeune Philippe allait s’évertuer à décrire en refrain et en couplets avec, à l’épaule caméra réelle ou métaphorique.

La Face B est une épopée. C’est le récit de l’aboutissement d’un rêve. Du cheminement d’un artiste en tant qu’homme à travers l’histoire d’une immigration (celle de la communauté italienne), d’une ville (Marseille) et d’un mouvement musical (le hip-hop). Ce livre est un véritable bréviaire aussi pour le jeune rappeur ou la jeune rappeuse qui voudrait comprendre le sens profond du rap en tant qu’art et en tant que culture, comme moyen de transcender sa propre condition.

Le leader d’un des groupes les plus emblématiques de ces dernières années raconte avec pudeur et tendresse la famille et l’amitié. Nous faisant découvrir de l’intérieur les réalités de ces Italiens qui immigrèrent dans le sud de la France en quête d’une vie meilleure et dont les attitudes face à un désir d’"intégration" furent beaucoup plus mouvementées qu’on a pu généralement le présenter. C’est également une plongée dans le Marseille des années 1980, dans le quotidien d’une certaine jeunesse désœuvrée qui cherche un sens à son existence et le trouve au travers de la passion d’une musique. L’histoire d’Akhenaton et d’IAM se confond avec celle du rap français: elle nous éclaire sur l’évolution de cette musique qui, de marginale, allait finir par supplanter toutes les autres. Il est donc question de détermination puis de succès avec son lot de trahisons et de jalousies, de paradoxes et de questionnements artistiques, déontologiques et existentiels (comment vivre après avoir fait Le Mia et vendu juste après, sur un seul album – le fameux Ecole du micro d’argent –, 1.300.000 disques?).

"C’est le rock du XXIe siècle"
Devenir un homme et se questionner sur sa place en France, dans le monde et dans l’Univers. C’est ce que crache la musique de ce livre – qui n’est pas à fond mais suffisamment forte pour qu’on distingue que c’est bien de rap qu’il s’agit. Le rap, mon art, le rap ce formidable médium qui a permis à tant de femmes et d’hommes de projeter leur monde intérieur et d’oser la connexion à l’autre, différent et qu’on découvre semblable. C’est le rock du XXIe siècle, qu’on aime ou qu’on déteste, on ne peut y être indifférent. La basse, les rythmiques et le flow, ce débit de parole poétique. Il faut en avoir des choses à dire et Akhenaton se raconte jusqu’au tourbillon. C’est l’histoire d’une époque aussi. Une époque finalement où rap et responsabilité étaient comme frère et sœur, où intelligence et introspection ne s’opposaient en rien à humour et autodérision, où la conscience d’appartenir à un mouvement, à une philosophe artistique signifiait quelque chose pour les acteurs et les amoureux de cette culture. La Face B invite finalement tous les MC’s à réinventer cette musique en se réinventant d’abord eux-mêmes en tant qu’artistes créatifs, inventifs et sans peur; mais surtout peut-être à se reconnecter à soi en tant qu’être moral.

Un superbe hommage rendu par l'un des slameurs les plus talentueux de la scène hexagonale!

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