jeudi 1 juillet 2010

Archive - Pascal Perez, 36 ans, alias Imhotep, ex-instit et rocker, il est devenu l'architecte sonore d'IAM. Il s'implique politiquement (Libération)

A la lisière d'un paisible jardin de centre-ville, à l'ombre des immeubles de la Belle de Mai, dans le voisinage de l'avenue de la Révolution, l'atelier-studio, rangé avec des soins de vieux garçon, est clair et sans poussière. Pascal Perez, alias Imhotep, élevé au rang «d'architecte sonore» par les pharaons rap d'IAM n'en poussera la porte qu'en début d'après-midi après le lent rituel du thé à la menthe. Avant de s'asseoir avec lui à la table de mixage, il faut cheminer sans hâte dans l'intimité d'un musicien qui s'est acclimaté à l'ombre et n'a pas le coeur au bord des lèvres quand il s'agit de se raconter. On passe ainsi, dans l'éclatant silence de midi, du hamac écrasé de soleil à la fraîche cuisine où déjeune son jeune fils, du repas en terrasse à la table brûlante du jardin, de l'enthousiasme du visiteur («un havre de paix!») à l'accablement d'une conversation oppressée par la menace du fascisme. Ce soir, à l'heure de l'apéro, Imhotep sera d'un meeting au théâtre Tourski («j'aime mieux te dire que les mecs sont chauds»). Et quand il parle de son jardin discret de ce Belleville sur Marseille, c'est avec des mots d'assiégé: «La situation est tellement tendue dans le quartier que les gens vont finir par tirer. On se regarde tous en chiens de faïence, on ne sait plus qui est qui. Quand je vais à Vitrolles, je croise des types avec des tee-shirts "Fier d'être français. Souvent, je me dis que je vais partir d'ici, emmener ma femme et mon fils et revenir me battre. Ceux dont les familles ont connu le fascisme, il y a soixante ans, et qui se sentent proches du FN aujourd'hui, je ne veux pas perdre une minute pour essayer de leur expliquer.»

Pascal Perez n'a pas l'âge du rap français. Quand il a rencontré les «minots» d'IAM à la fin des années 80, ils le chambraient et l'appelaient «maître»: il était instituteur à Solidarité, le dernier des quartiers nord et filait sur la trentaine. Il est né «un peu tard pour 68». En 1960 à Alger. D'une famille de pieds-noirs espagnols ­ «proche des Arabes, mal vue de l'OAS» ­ qui a quitté le pays dans la confusion. De Perpignan à Nantes en passant par la grande banlieue parisienne, il s'est frotté à l'agitation des bahuts des années 70 et décorait sa chambre, à douze ans, de posters d'Angela Davis et d'Eldridge Cleaver, leader des Black Panthers. Il se rêvait un peu en guitar hero, écoutait Led Zeppelin et Jimi Hendrix par réaction au flamenco du paternel, vague repli identitaire d'un clan qui suivait peinardement le chemin de l'intégration.«La famille votait à gauche comme elle pouvait, dit-il. Plutôt tendance PSU.» Les Perez se sont fait un totem de la figure du grand-père qui a combattu pendant la guerre d'Espagne du «bon côté de la force» et n'a jamais quitté la mire des polices franquistes. «Avec mon père, on s'asseyait face à lui et on lui faisait tout raconter sur un vieux magnétophone. On avait l'idée d'en faire en livre.» Sur ces bandes dorment les récits du plastiquage d'un train en Andalousie et de l'attaque d'un commissariat. Ils remontent aujourd'hui. Et donc, à l'heure du pastis, sans éclat dans la voix, Imhotep s'échauffe: «S'il faut recommencer...»

Dans son studio, près des échantillonneurs, un disque de Reggiani en évidence. Des piles de vinyles où Satie côtoie les bandes originales d'obscurs mélos espagnols, des pièces orchestrales arabes ou andalouses et les pierres de touche soul ou reggae. Toutes choses qu'il découpe à l'occasion et monte en boucles chagrines pour échafauder le son d'IAM qui fait kiffer les rappers américains «Je ne me verrais pas enregistrer des choses gaies aujourd'hui», soupire-t-il. Le dernier disque des Marseillais est plutôt sombre, loin des galéjades de «Je danse le MIA» et de tout souci mercantile. Il s'en réjouit. Il prend la musique comme une aubaine et la carrière comme elle vient. A la fin des années 70, il a enregistré sans illusion un premier disque autoproduit ­ Pourquoi moi? ­ au sein du groupe Ticket qui avançait sur les brisées de Clash et du mouvement ska. Il avait quitté le domicile familial et vivait au bord de la clochardisation. De ces années rock, il retient surtout la galère, «à dix dans le minibus, les sandwichs, les squats...». Il en est vite revenu. L'Ecole normale à Aix pour rompre avec la précarité et la musique rapportée au rang de hobby. Des enregistrements sans but à la maison, et des émissions de connaisseurs sur une FM associative de Marseille, Radio Utopie. La montée en puissance des DJs rap new-yorkais lui a donné des idées. Mais pas d'ambitions particulières. «J'étais un musicien moyen, les échantillonneurs m'ont ouvert des perspectives incroyables. Mais je ne croyais pas à l'éclosion d'une scène rap.» Aux premières heures d'IAM, il faisait le maître d'école le jour, rejoignait le groupe à la tombée de la nuit: «J'ai découvert le rap français en en faisant.»

«Ce qui m'a tout de suite intéressé chez eux, raconte-t-il. C'est leur manière d'écrire: réaliste, dans une langue de tous les jours. A l'époque, le rock français parlait de choses qui ne m'intéressaient pas.» Au sein de l'escadrille marseillaise où il a troqué son patronyme contre celui d'Imhotep, architecte des pyramides, il ne se mêle pas d'écriture mais n'oublie pas de faire entendre son avis sur tout. Sur la politique en particulier. Il fait mine de ne pas s'en souvenir mais on le dit à l'origine du concept de «hold-up mental» avec lequel IAM scelle son engagement: «Il faut s'intégrer pour trouver une position de force dans les rapports sociaux. On profite de notre succès pour essayer de faire passer un message de résistance, on est invité sur les plateaux télé, on enregistre des morceaux qui marchent et qui aiguillent notre public vers des plages de nos albums, plus dures, plus radicales. Je voudrais croire encore à la possibilité de discuter. Ça ne sert à rien d'appeler à foutre le feu, surtout que quand les jeunes le font, c'est leur propre quartier qu'ils commencent par brûler.» Il n'y a pas longtemps les membres d'IAM ont tenu un conseil de guerre sur le sujet du vote. Ils se sont aperçus qu'ils étaient quelques-uns à sécher les urnes. Ils travaillent aujourd'hui avec une association pour inciter les jeunes à prendre le chemin des bureaux de vote et à faire corps à l'heure des législatives. Imhotep, lui, dit avoir toujours voté. Voynet, puis Jospin lors de la dernière présidentielle. Il fait parfois la tournée des écoles et anime des ateliers musicaux pour les mômes, il a fondé son propre label pour donner un coup de pouce à la génération spontanée du rap marseillais. Mais il a, par instants, un léger mouvement de tête pour dire «Tout doux!»: «Nous ne sommes pas les papas Noël de Marseille. On nous sollicite de toutes parts, qu'on soit de toutes les campagnes mais les politiques nous ont piégés plus d'une fois. Et puis nous ne sommes pas des modèles d'altruisme. Trop flemmards.» D'ailleurs l'association à laquelle il est resté fidèle est un cercle d'esthètes du joint où l'on goûte le haschich avec des manières de taste-vin. Le droit à la paresse serait au fond la récompense idéale d'une carrière singulière. Comme il dit, entouré de ses instruments de haute technologie: «On n'est pas des machines.».
  • Imhotep en 6 dates 19 mai 1960 Naissance à Alger.
  • 19 mai 1962 Première guitare.
  • 1979 Premier disque avec Ticket.
  • 1984 Entrée à l'Ecole normale.
  • 1989 Rencontre Akhenaton avec qui il formera IAM.
  • Mars 1997 Sortie du troisième album d'IAM: l'Ecole du micro d'argent.

Libération
19 avril 1997

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