Figure tutélaire du hip hop français, compositeur des premiers tubes d’IAM, Imhotep l’architecte sort, à 52 ans, Kheper, son second album solo.
Un disque instrumental où l’on retrouve intact son goût pour la
musique de transe, les boucles hypnotiques et une production
ultra-soignée. Dix-neuf titres d’abstract hip hop très méditerranéen qui
coulent comme un fleuve apaisé et connaîtront un prolongement sur scène
entre autres pour les ouvertures de la
Fiesta des Suds 2012 (le 19 octobre) et de
Marseille 2013 (le 12 janvier de l'année prochaine).
Quelle est la signification de ce mystérieux Kheper ?"Khepri", c’est le scarabée mythologique égyptien qui, tous les jours, pousse le soleil puis la lune. Kheper,
c’est son action. Le verbe. Tu peux le traduire par "se métamorphoser",
"alterner les cycles". Comme si tu mélangeais le concept du ying et du
yang et celui du Phénix, qui renait de ses cendres. Une des plus
vieilles idées philosophiques de l’humanité, quoi… Je pense que
l’existence est faite de cycles ascendants et descendants. Lumière et
ombres, forces et faiblesses… Sur la pochette, à la place du soleil, on a
mis un disque d’or ! Petite allusion. De là à dire que Kheper est le début d’un nouveau cycle pour moi, pourquoi pas…
Ascendant ou descendant ?Changeant, en tout cas.
On ne vit pas une époque de certitudes. Surtout dans le métier du
disque, qui vient de vivre une vraie révolution… Du coup, même nous,
pionniers du hip hop français, nous devons nous remettre en question.
Repartir sur la route pour faire de la scène, s’adapter aux nouvelles
technologies, aux nouveaux médias, à la nouvelle donne des labels. Plus
personne ne peut t'offrir d'enregistrer un disque à 250 000 euros
aujourd'hui. C’est pour ça que j’ai produit cet album en indépendant
alors que le premier,
Blue Print, était chez Delabel. Avec IAM,
on a commencé en indépendant, on n’avait pas le choix. 25 ans plus
tard, on y revient… On n’a plus le choix.
C’est ce qui explique ces 14 ans entre Blue Print, ton premier album solo, et Kheper ?
Je dirais que ça explique deux ans. Avec une maison de disques,
Kheper
serait sorti dès 2010. Les douze autres années, elles, étaient
incompressibles : les aléas de la vie, le calendrier d’IAM, les sorties
de disques, les tournées, les projets annexes comme les
Chroniques de Mars ou la musique du film
Les Barons,
les collaborations… Je ne voulais pas sacrifier ma famille plus que ce
que je ne l’ai fait. Et puis ça me permet de dire : je sors un album
solo tous les 14 ans, je vous casse pas les c..., alors prenez le temps
de l’écouter !
La proximité est plus évidente entre Blue Print et Kheper, espacés de 14 ans, qu’entre Kheper et les derniers albums d’IAM, pourtant plus rapprochés…Je suis d’accord. Comme je dirais que le lien est plus évident entre
Ombre est lumière et
L’Ecole du Micro d’Argent
qu’avec les derniers albums d’IAM. Mes albums solos restent mon jardin
secret que je cultive en parallèle en mettant de côté les samples qui ne
colleront pas pour IAM : trop "spé", trop world, trop ethnique… C’est
le vrai Imhotep. Sans les contraintes du travail avec des vocalistes,
des auteurs. Plus personnel, donc forcément moins collectif.
Dans cet album, on retrouve tes obsessions : la transe, la
musique nord-africaine et le rythme, qui guide toute la structure. C’est
ça, la signature Imhotep ?Ces trois piliers résument ma
musique. C’est presque devenu inconscient. S’il en manque un, ça ne
marche pas. Sur l’album, j’ai essayé de faire un morceau où il n’y a pas
de rythme :
Reunited Strings theory… Mais j’y ai quand même
mis des vagues, des cycles. La transe, je dirais que ça vient de très
loin. Imagine-moi sur une plage au Maroc en 1976, jouant des percussions
et fumant des trucs bizarres. (il rit) Ça fait cliché, mais j’ai appris
la musique comme ça.
A l’époque des premiers morceaux d’IAM, on te surnommait "l’architecte sonore"… Cela te correspond encore ?Plus
que jamais ! Akhenaton m’a appelé comme ça parce que j’avais commencé
des études d’architecture à Nantes… Ce que j’aime dans cette analogie,
c’est qu’elle prend en compte la composition et le mixage. Dans le hip
hop en général, et surtout dans ce genre d’exercice instrumental, ces
deux étapes sont aussi importantes l’une que l’autre et donnent
l’architecture finale du son. Quand nous avons mixé
L’Ecole du Micro d’Argent
avec l’Américain Prince Charles, il m’a expliqué qu’il concevait chaque
morceau comme un monument : les kicks et les basses à la base comme des
fondations, puis il plaçait les sons dans l’espace, pas uniquement
gauche-droite, mais aussi en profondeur pour gagner du volume… Cette
conversation a mis des mots sur quelque chose qui restait intuitif. Et a
confirmé le bien-fondé de ce surnom.
Tu as l’air de chercher plus l’intemporalité que le hit…
Quand je sors des concerts d’IAM, et que les gens me disent :"
Blue Print,
c’est la folie, je le kiffe, je l’écoute encore tout le temps…" - il
n’y a pas plus beau compliment. Je suis mortel, alors si ma musique
pouvait devenir immortelle… Attention, je n’y prétends pas, hein ! En
musique, je n’ai rien inventé : je ne me considère pas comme un
innovateur et, des fois, pas même comme un compositeur. Architecte
sonore, remixeur, arrangeur, ça me va mieux. La seule chose que je peux,
peut-être, m’attribuer, c’est d’avoir été le premier à sampler de la
musique orientale pour l’incorporer dans un son hip hop… Mais ça n’est
que du recyclage...
Quels regards portes-tu aujourd’hui sur l’épopée IAM ?
Elle n’est pas finie. L’heure n’est pas au bilan. On regarde toujours l’avenir. Là, on est sur le prochain album.
Celui dédié à Ennio Morricone ?
Disons,
un Morricone réduit. Même si nous avons eu son accord de principe et
qu’il adore le concept, c’était trop cher au niveau des droits. Donc, il
y aura deux-trois morceaux inspirés de Morricone et le reste sera un
album d’IAM normal.
Marseille, ville inspiratrice ou ville castratrice…
C’est
toujours une ville d’inspiration… Et c’est toujours une ville qui est
ouverte sur le monde et c’est ça qui m’intéresse. Les handicaps de
Marseille sont ailleurs. Ça ne tient pas à sa population plutôt au fait
que, dans la dynamique de la ville, on ne fait pas appel à tout le
monde, on n’utilise pas tout le potentiel humain, culturel et
économique. Pourquoi ? Il faudrait demander cela aux décideurs
politiques et financiers. Nous, quand, à l’étranger, on nous dit que
Marseille, c’est la capitale du hip hop européen, on se cache le visage
de honte. On n’a même pas un lieu dédié à cette culture ! Pourquoi ?
C’était notre projet pour
Marseille 2013. Il n’a pas été retenu… (il s’emporte puis se calme). Mais on va essayer de rester sur une note positive…
Ok, une note positive alors, heureux de vivre à nouveau dans un pays socialiste ?
Heureux,
non… Je dirais soulagé après les cinq ans qu’on vient de vivre et pour
toutes ces associations que j’ai vu mourir parce qu’on ne leur donnait
pas les subventions promises. Pour moi, le PS, ce n’est pas la gauche,
mais voir Christiane Taubira ministre de la Justice, ça m’a mis la
banane… Rien que pour ça : merci Hollande, merci les socialos !